Pile à l'heure, le tome 3 de la Brigade chimérique (ce comic-book français dont je vous rebats les oreilles depuis 2 mois avec la régularité du Métronome, vilain de la super-science qui perpétrait ses forfaits toujours aux mêmes dates et qui fut arrêté par le Nyctalope en février 1931) est donc disponible sur les étals de vos libraires préférés.
Difficile de continuer à parler de cette BD sans finalement répéter ce qui en a déjà été dit dans mes billets précédents. L'oeuvre est toujours aussi passionnante, foisonnante, brillante - de qualité à tous les niveaux : scénario, dessins et même finition, bel ouvrage cartonné au format idéal. Bref une fois de plus, la Brigade chimérique transforme l'essai avec ce troisième tome et prouve qu'il y a donc bien une place pour des comics français sur le marché (je serai d'ailleurs curieux de voir quel accueil serait fait à cette BD aux USA, si elle devait un jour être traduite dans la langue de Stan Lee...). On regrettera juste que la situation globale de l'Europe n'y soit évoquée qu'en filigrane, le tome se concentrant sur la Brigade en elle-même (origine, nature, mise en action). Un "mal" pour un bien étant donné que le titre du numéro suivant n'est autre que "Politique internationale", ce qui promet bien des choses...
Donc, afin d'être un peu original et de ne pas faire une critique qui ne soit qu'un panégyrique de plus (on va finir par me croire actionnaire chez l'Atalante), j'ai décidé de me livrer à une modeste analyse dans ce billet, portant sur un aspect qui me paraît essentiel dans cette BD : l'héritage littéraire (et, dans une certaine mesure, cinématographique).
Commençons par le plus évident : la Brigade chimérique est une BD écrite par deux romanciers, Serge Lehman et Fabrice Colin. Ils font partie des auteurs français de littérature fantastique parmi les plus prolifiques et les plus connus du milieu - ayant chacun à leur actif plusieurs prix. Cultivés et touches-à-tout, ils apportent ainsi cet éclectisme en même temps que leur érudition littéraire - ce qui transparaît à presque tous les niveaux de l'oeuvre. Ainsi, la construction dramatique, avec prologue, chapitres et sans doute un épilogue (le "douzième" numéro), renvoie autant aux comics mensuels américains qu'à l'écriture de roman. Les dialogues également : tous sonnent bien, sont dans le ton de l'époque et propres à chaque personnage ("Tout ce qui est vivant est méchant", nous dit le Dr Sérum), les caractérisant avec une économie de moyens admirable. L'érudition quant à elle, transparaît de par les multiples références à la culture de l'époque - Freud et Jung, le surréalisme, les idéologies fachistes... Mais elle est patente dans la caractérisation de la Brigade elle-même, qui démontre une grande connaissance en mythologie, psychologie et culture populaire d'alors.
Deuxième point, presque aussi évident que le premier : la Brigade chimérique puise son inspiration, son matériau de base, dans la littérature fantastique européenne du début du 20ème siècle - plus particulièrement celle de l'entre-deux guerres en faisant des incursions sur la fin du 19ème et ses gentlemen-justiciers). L'Homme chimérique, le roman de George Spad, baigne réellement toute la BD - et dans le tome 3, c'est quasiment un résumé de cette oeuvre rare qui nous est offert en vignettes et bulles. On retrouve donc dans la Brigade chimérique une ambiance assez unique, un ton retro et pulp à la française qui fait penser autant à la science-fiction pionnière de Jules Vernes qu'aux délires de Gustave le Rouge, en passant par l'influence des feuilletonistes et leur goût pour l'excès commercial - sans oublier les préoccupations géopolitiques de l'époque (communisme, évènements en Europe centrale, déclin annoncé des vieilles nations...). De ce point de vue, la BD possède réellement une identité unique qui l'éloigne de l'aînée à laquelle on la compare si souvent (la Ligue des Gentlemen extraordinaires de Alan "dieu vivant" Moore).
L'influence du cinéma se mêle à cette parenté littéraire. Ainsi dans l'épisode qui ouvre ce tome 3, le "montage parallèle" qui nous dévoile les origines de la Brigade chimérique en même temps qu'Irène Curie et le Dr Séverac procèdent à des expériences pour en percer les mystères, est quasiment un storyboard que tout réalisateur assez ambitieux pour adapter cette oeuvre sur grand écran pourrait reprendre tel quel. On repense au chapitre des Watchmen dévoilant l'histoire du Dr Manathan - décidément, l'ombre d'Alan Moore plane encore -, ce qui est une comparaison plutôt flatteuse. Ce n'est sans doute également pas par hasard si le Dr Séverac retrouve une partie de sa mémoire dans un cinéma, en voyant les actualités dont Mabuse profite pour vomir son idéologie. Déjà dans le tome 2, l'excellente scène montrant le portrait de Marie Curie raconter par la voix de sa fille la légende de la Brigade avait un goût de cinéma très prononcé.
Il y aurait beaucoup d'autres éléments à analyser dans ce tome. Ce post sur un forum donne déjà beaucoup de clés : la Brigade chimérique parle réellement de la fin d'une époque et des prémisses d'une autre, notamment via la rencontre du Dr Séverac (homme du passé représentant un idéal de la France d'alors, appelé à disparaître avec les horreurs de la Collbarotation) et de George Spad (une jeune femme moderne préfigurant les suffragettes et l'évolution de la place de la femme dans la société).
De même, on ne peut être qu'admiratif devant l'équilibre entre introspection, développement des personnages et de l'univers et scènes d'action (élément que l'on attend forcément dans un comic, fut-il français !). A ce titre, le combat de la Brigade contre la Xénobie est à la fois classique (il faut protéger la ville d'une entité inconnue) et surprenant (une conclusion bien plus fine que prévue et surtout mettant à profit la psychologie et les pouvoirs d'un des éléments de la Brigade).
Ayant tout dit, je vais donc terminer ce billet en me contentant de féliciter chaudement le dessinateur Gess : la dernière case de ce tome 3 de la Brigade chimérique est un chef d'oeuvre de composition et de symbolisme, à vous en coller des frissons partout - sans doute les mêmes que ceux que peuvent éprouver des Américains devant une image magnifiée de leur Captain America.
On espère la suite de l'oeuvre au plus tôt, même si je me suis laissé dire que les trois derniers tomes ne sortiraient pas avant le deuxième trimestre 2010.
Difficile de continuer à parler de cette BD sans finalement répéter ce qui en a déjà été dit dans mes billets précédents. L'oeuvre est toujours aussi passionnante, foisonnante, brillante - de qualité à tous les niveaux : scénario, dessins et même finition, bel ouvrage cartonné au format idéal. Bref une fois de plus, la Brigade chimérique transforme l'essai avec ce troisième tome et prouve qu'il y a donc bien une place pour des comics français sur le marché (je serai d'ailleurs curieux de voir quel accueil serait fait à cette BD aux USA, si elle devait un jour être traduite dans la langue de Stan Lee...). On regrettera juste que la situation globale de l'Europe n'y soit évoquée qu'en filigrane, le tome se concentrant sur la Brigade en elle-même (origine, nature, mise en action). Un "mal" pour un bien étant donné que le titre du numéro suivant n'est autre que "Politique internationale", ce qui promet bien des choses...
Donc, afin d'être un peu original et de ne pas faire une critique qui ne soit qu'un panégyrique de plus (on va finir par me croire actionnaire chez l'Atalante), j'ai décidé de me livrer à une modeste analyse dans ce billet, portant sur un aspect qui me paraît essentiel dans cette BD : l'héritage littéraire (et, dans une certaine mesure, cinématographique).
Commençons par le plus évident : la Brigade chimérique est une BD écrite par deux romanciers, Serge Lehman et Fabrice Colin. Ils font partie des auteurs français de littérature fantastique parmi les plus prolifiques et les plus connus du milieu - ayant chacun à leur actif plusieurs prix. Cultivés et touches-à-tout, ils apportent ainsi cet éclectisme en même temps que leur érudition littéraire - ce qui transparaît à presque tous les niveaux de l'oeuvre. Ainsi, la construction dramatique, avec prologue, chapitres et sans doute un épilogue (le "douzième" numéro), renvoie autant aux comics mensuels américains qu'à l'écriture de roman. Les dialogues également : tous sonnent bien, sont dans le ton de l'époque et propres à chaque personnage ("Tout ce qui est vivant est méchant", nous dit le Dr Sérum), les caractérisant avec une économie de moyens admirable. L'érudition quant à elle, transparaît de par les multiples références à la culture de l'époque - Freud et Jung, le surréalisme, les idéologies fachistes... Mais elle est patente dans la caractérisation de la Brigade elle-même, qui démontre une grande connaissance en mythologie, psychologie et culture populaire d'alors.
Deuxième point, presque aussi évident que le premier : la Brigade chimérique puise son inspiration, son matériau de base, dans la littérature fantastique européenne du début du 20ème siècle - plus particulièrement celle de l'entre-deux guerres en faisant des incursions sur la fin du 19ème et ses gentlemen-justiciers). L'Homme chimérique, le roman de George Spad, baigne réellement toute la BD - et dans le tome 3, c'est quasiment un résumé de cette oeuvre rare qui nous est offert en vignettes et bulles. On retrouve donc dans la Brigade chimérique une ambiance assez unique, un ton retro et pulp à la française qui fait penser autant à la science-fiction pionnière de Jules Vernes qu'aux délires de Gustave le Rouge, en passant par l'influence des feuilletonistes et leur goût pour l'excès commercial - sans oublier les préoccupations géopolitiques de l'époque (communisme, évènements en Europe centrale, déclin annoncé des vieilles nations...). De ce point de vue, la BD possède réellement une identité unique qui l'éloigne de l'aînée à laquelle on la compare si souvent (la Ligue des Gentlemen extraordinaires de Alan "dieu vivant" Moore).
L'influence du cinéma se mêle à cette parenté littéraire. Ainsi dans l'épisode qui ouvre ce tome 3, le "montage parallèle" qui nous dévoile les origines de la Brigade chimérique en même temps qu'Irène Curie et le Dr Séverac procèdent à des expériences pour en percer les mystères, est quasiment un storyboard que tout réalisateur assez ambitieux pour adapter cette oeuvre sur grand écran pourrait reprendre tel quel. On repense au chapitre des Watchmen dévoilant l'histoire du Dr Manathan - décidément, l'ombre d'Alan Moore plane encore -, ce qui est une comparaison plutôt flatteuse. Ce n'est sans doute également pas par hasard si le Dr Séverac retrouve une partie de sa mémoire dans un cinéma, en voyant les actualités dont Mabuse profite pour vomir son idéologie. Déjà dans le tome 2, l'excellente scène montrant le portrait de Marie Curie raconter par la voix de sa fille la légende de la Brigade avait un goût de cinéma très prononcé.
Il y aurait beaucoup d'autres éléments à analyser dans ce tome. Ce post sur un forum donne déjà beaucoup de clés : la Brigade chimérique parle réellement de la fin d'une époque et des prémisses d'une autre, notamment via la rencontre du Dr Séverac (homme du passé représentant un idéal de la France d'alors, appelé à disparaître avec les horreurs de la Collbarotation) et de George Spad (une jeune femme moderne préfigurant les suffragettes et l'évolution de la place de la femme dans la société).
De même, on ne peut être qu'admiratif devant l'équilibre entre introspection, développement des personnages et de l'univers et scènes d'action (élément que l'on attend forcément dans un comic, fut-il français !). A ce titre, le combat de la Brigade contre la Xénobie est à la fois classique (il faut protéger la ville d'une entité inconnue) et surprenant (une conclusion bien plus fine que prévue et surtout mettant à profit la psychologie et les pouvoirs d'un des éléments de la Brigade).
Ayant tout dit, je vais donc terminer ce billet en me contentant de féliciter chaudement le dessinateur Gess : la dernière case de ce tome 3 de la Brigade chimérique est un chef d'oeuvre de composition et de symbolisme, à vous en coller des frissons partout - sans doute les mêmes que ceux que peuvent éprouver des Américains devant une image magnifiée de leur Captain America.
On espère la suite de l'oeuvre au plus tôt, même si je me suis laissé dire que les trois derniers tomes ne sortiraient pas avant le deuxième trimestre 2010.
je vais continuer de suivre cette sympathique BD.
RépondreSupprimerJ'ai bcp apprécié ton article, une analyse ô combien intéressante.
Lovely post, thanks for posting.
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