lundi 2 février 2009

Le magicien de la Shaw Bros




Aujourd'hui, j'aimerai un peu vanter les mérites d'un très grand réalisateur chinois : Chu Yuan.
Dans les années 70, il fut l'un des piliers de la célèbre Shaw Bros à Hongkong mais par chez nous, son nom est souvent éclipsé par ceux de Chang Cheh (la Rage du Tigre) ou Liu Chia-liang (la 36ème Chambre de Shaolin).
Je vais donc tâcher d'expliquer ici pourquoi ce réalisateur fut l'un des meilleurs artisans de l'époque et comment il apporta sa pierre à l'édifice des films de sabre chinois (wu xia pian).

- Premier point, et duquel presque tous les autres découlent, il réussit le tour de force de tirer profit de l'artificialité des productions Shaw Bros (décors en carton, tournage en studio, acteurs très théâtraux) pour renforcer l'implication du spectateur dans ses films. En cela, il est bien sûr bien aidé par un matériau de base prenant pour cadre le monde des arts martiaux (jiang hu), soit une société parallèle intemporelle dans laquelle chevaliers volants, amazones coquines et moines androgynes s'opposent pour savoir qui possède le meilleur kung-fu.
De telles histoires, dans un tel univers, pourraient fortement tomber à plat mais Chu Yuan transcende ce côté casse-gueule en jouant à fond sur le décalage induit : puisque nous sommes dans un monde artificiel et fantasmé, poussons la logique jusqu'au bout et acceptons les décors en carton comme faisant partie du contexte, comme rendant ce contexte acceptable. En cela, les films de Chu Yuan font penser à du comic book, notamment ceux des années 50/60 dans leur mise en scène d'un univers bigger than life auquel on ne peut qu'adhérer grâce au choix des codes de mise en scène.

- A partir de là : second point, Chu Yuan construit sa mise en scène de façon très ludique. C'est particulièrement visible sur le Sabre infernal (Magic Blade) mais c'est aussi le cas dans bien de ses films, comme le Tigre de Jade (Jade Tiger) ou l'Île infernale (Legend of The Bat). Ainsi, chaque décor, chaque cadre presque, est pensé comme une scène de théâtre, sur laquelle va se jouer la séquence, vont s'entrecroiser divers protagonistes, vont se dérouler des évènements qui toujours feront avancer l'intrigue. Et bien souvent, chaque décor ne sert qu'une fois (deux au maximum), car dès la scène jouée, on passe à un autre décor selon une fausse linéarité permettant de suivre au mieux des intrigues souvent bien alambiquées.
Je m'attarde un instant là-dessus car c'est aussi un des points forts du cinéma de Chu Yuan : bien que ses intrigues recèlent moult péripéties et personnages aux noms imprononçables pour nos palais occidentaux, on est jamais perdu grâce à cette progression dramatique qui utilise le passage de décor en décor comme élement-clé de la mise en scène et de la progression dramatique. En fait, ce type de réalisation préfigure ce que sera la construction de certains jeux vidéos, de tableaux en tableaux avec des boss de fin de niveau. Par exemple, une des scènes fortes du Sabre infernal, qui nous montre le héros piégé sur un échiquier géant et affrontant divers ennemis figurant les pièces du jeu, est très représentative de cela.

- Les scénario mis en scène par Chu Yuan (prétendument de sa main, mais sans doute écrit par un nègre) sont souvent très bien écrits, plein de rebondissements (le Complot des Clans / Killer Clans : un retournement de situation par minute) et mettent en avant des personnages forts. Que ce soit le westernien héros du Sabre infernal ou le détective jamesbondien du Complot des Clans (Clans of Intrigue) et l'Île infernale, ce sont des icônes consacrées quasiment dès leur première apparition. A ce sujet, il est à noter que Chu Yuan utilise presque toujours les même acteurs dans ses films (Ti Lung, Lo Lieh notamment), ce qui renforce l'idée de répétitivité non pas des scénarios mais de l'univers : on est dans une éternelle variation sur un même thème. L'important n'est pas de savoir qui a les meilleurs arts martiaux (puisque de toute façon, c'est généralement le héros et ce dès le départ du film), mais quel usage on doit en faire ? Le héros du Sabre infernal préfère mener une vie solitaire et libre, celui du Complot des Clans mène belle vie en dilettante, celui du Tigre de Jade se met au service de la vengeance de son Clan, etc.

- Autre point notable - et fort inhabituel à cette époque de machisme triomphant dans les productions Shaw Bros (voir les films de Chang Cheh ou Jimmy Wang Yu par exemple) - Chu Yuan savait mettre en scène des personnages féminins forts et décidés. Loin de la jouvencelle innocente, nombre des protagonistes de ses films issues du sexe faible ont une volonté de fer, capable de les amener à mettre au point un plan sur plusieurs années pour se venger de leurs bourreaux (Intimate Confessions of a Chinese Courtesan) ou de prendre la tête d'une organisation d'assassins pour parvenir à leurs fins (la Guerre des Clans). Un véritable érotisme se dégage des scènes impliquant ces femmes, toutes superbes et venimeuses, au point que l'on a cure d'être empoisonné par elles, si en échange on obtient un baiser ou plus...

En conclusion, la grande qualité de Chu Yuan selon moi est d'avoir sur saisir un matériau peu évident à bras le corps, au premier degré, et d'avoir pensé sa mise en scène pour rendre celui-ci crédible sur grand écran, grâce à des codes de mise en scène simples (réutilisation des même acteurs, décors et tournages en studio, surréalisme assumé, progression linéaire de l'intrigue) mais parfaitement maîtrisés. Et ce au service de cet art que l'on nomme le cinéma.

3 commentaires:

  1. belle étude, claire et très documentée. Bravo

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  2. Mouais. Pour moi, tous ces films de watamen se ressemblent un peu.


    Signé Ange Scurlock

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  3. Bel article.
    Rien a ajouter.
    Pour moi ce qu'il fait sa force c'est comme vous l'avez souligné ces décors.Tellement bien construits,certains plans de caméra sont assez extraordinaire.
    Le meilleur réalisateur de l'histoire du cinéma pour ma part.
    Ti Lung est parfait dans tous ses films.

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