jeudi 18 octobre 2012

Midget Rampage / Ravageuse

Le Carnoplaste, dynamique jeune éditeur ayant ressuscité le format fascicule à l'ancienne et qui s'échine à rendre hommage à divers pans de la culture populaire, lance une toute nouvelle collection : le cover to cover
Quel en est donc le principe ? Comme son nom l'indique, il s'agit de réunir en un seul opus (de taille double des fascicules habituels, donc) deux récits. Mais pas au hasard ! Les deux histoires se doivent d'appartenir au même genre, de suivre une même trame et même de recycler certains éléments de l'un sur l'autre (noms de protagonistes, détails divers, clins d'oeil...).
Un pari ambitieux mais qui s'inscrit plus que jamais dans le projet éditorial du Carnoplaste. En effet, cet éditeur n'a de cesse de remettre sur le devant de la scène des récits populaires fleurant bon le roman-feuilleton ou la série B d'autrefois (citons pêle-mêle la luchasploitation, le récit fantastique gothique, les détectives de l'étrange, la chevalerie chinoise, le pulp de la jungle, l'historique aventureux sauce Angélique, la rétro-science-fiction, etc.). De là, le cover to cover apparaît comme le retour du bon vieux double-programme qui faisait la joie des cinémas de quartier il y a quelques décennies : l'époque bénie où pour le prix d'un billet, on pouvait s'enquiller deux films appartenant à des styles aussi disparates que le western spaghetti et le film de kung-fu chinois, la série Z de science-fiction américaine et le péplum italien, le post-apo australien et le film de zombi fauché, etc. Tout un esprit que Robert Darvel souhaite donc remettre au goût du jour avec cette nouvelle collection.

Qu'en est-il alors du contenu de ce premier tome ? 
Nous y trouvons donc deux histoires ayant comme point commun d'appartenir au genre du rape & revenge : un récit codifié au cours duquel le personnage principal est bien malmené (comme son nom l'indique, il s'agit souvent d'une femme subissant un viol) mais survit et revient se venger de ses bourreaux, en une catharsis typique - et souvent fort sanglante. 
Voyons donc plus en détail ce qu'il en est.


Midget Rampage (sous-titré : le Nain au Costume de Sang, tout un programme !) est l'oeuvre du talentueux mais bien mystérieux Julian C. Hellbroke. Il nous narre comment Nelson, un nain d'à peine 80 cm de haut et ci-devant mascotte d'une équipe universitaire de football américain, découvre que le manager trempe dans d’innommables magouilles (des paris truqués au trafic de drogue) et comment il tente de le dénoncer. L'affaire tourne mal, notre pauvre Nelson est capturé, torturé et laissé pour mort ! Mais revêtu de son costume de mascotte (un gorille), il revient armé d'un sécateur avec lequel il fera couler beaucoup de sang. 
Le résumé rappelle avec délices le dos de jaquette d'une VHS louée dans un vidéo-club des années 80. Et ça tombe bien, car Midget Rampage se réclame sans ambages de cet esprit ! Bien que le point de départ puisse sembler ridicule au premier abord, l'auteur écrit son histoire avec un premier degré totalement réjouissant (et assumé) et ses débordements gore provoquent autant le rire que le malaise. Le gros point fort de ce premier récit est la connaissance encyclopédique qu'a Julian C. Hellbroke du genre qu'il traite - on sent l'érudit qui a dû visionner des centaines de films afin d'en comprendre les codes. Et ces codes, il sait à la perfection les réinjecter dans la construction de son fascicule. Tout y est, qu'on en juge : le héros un peu loser (et donc attachant), le méchant sadique et ses hommes de main décérébrés, la torture forcément malsaine, la vengeance cathartique, les scènes de meurtre toutes plus inventives et violentes les unes que les autres, etc. Mieux encore, tout cela est saupoudré d'éléments qui ajoutent de la couleur : l'inutile (et donc indispensable) scène de sexe entre jeunes filles, une paire de tueurs à gage cannibales, un médecin-bourreau argentin nostalgique du Troisième Reich, etc. Même la couverture, superbe toile de Francisco Varon, rappelle une affiche de cinéma bis.
Le tout est écrit dans un style fluide, vif et qui ne nous épargne aucune giclée d'hémoglobine. L'écriture est réellement cinématographique : au point qu'une adaptation en film n'aurait pas grand effort à faire pour porter tout cela à l'écran - le scénario est livré sur un plateau ! L'essai est donc réellement transformé avec ce Midget Rampage qui ne pourra que séduire les nostalgiques de ces bonnes vieilles séries B - celles qui faisaient jadis le bonheur des troisièmes parties de soirée sur feu La Cinq...


Ravageuse, de la fort discrète Irène Maubreuil, nous change radicalement d'univers ! Ici, nous avons à faire à un western sub-aquatique - une sorte de far-west situé dans les hauts-fonds, alors que l'océan constitue à la fois le ciel et la frontière. Lady Godiva, l'héroïne, est une prostituée au grand coeur qui souhaite agir contre la criminalité gangrenant la petite communauté où elle vit - et qui est hélas entretenue par une étrange conspiration. Elle sera donc rattrapée par ceux qui veulent la faire taire et laissée pour morte après avoir subi de nombreux sévices. Mais quelques mois plus tard, une tueuse nue au sein mutilé revient pour assassiner un à un les membres de la cabale... Lady Godiva a-t-elle survécu à son tourment ? 
Pleinement inscrite dans le rape & revenge, Ravageuse se singularise par son contexte (si passionnant qu'on en regrette qu'il ne puisse être plus développé - le format fascicule ayant ses limites)  et son atmosphère à la fois sèche comme un Sergio Leone et onirique comme Dario Argento de la grande époque. La couverture signée Christophe Swal, dont les tons pâles contrastent avec la violence mise en scène, représente d'ailleurs bien l'ambiance que l'on peut retrouver dans le récit. Une oeuvre qui parvient à se montrer atypique tout en appliquant rigoureusement les codes du genre - une gageure ! 
Le style d'Irène Maubreuil permet à Ravageuse de captiver le lecteur sans effort. C'est beau, précis, enlevé, elliptique quand il le faut et détaillé quand c'est nécessaire. Avec le personnage de Lady Godiva, on tient une belle icone du genre, spectre vengeur et mutique qui pourrait être la contrepartie féminine d'un Clint Eastwood en Homme sans Nom. 

Avec ce cover to cover, le Carnoplaste lance en fanfare sa nouvelle collection. Classiques, décalés, originaux, respectueux : Midget Rampage et Ravageuse sont deux excellents textes et leur accolage au sein de ce double-fascicule n'a rien d'artificiel, bien au contraire : convergence des genres, influences similaires, clins d'oeil entre les deux récits, logique du double-programme, etc. 
Le pari est donc réussi haut la main car en terminant la lecture des deux histoires (forcément lues à la suite et sans pause), on a sincèrement l'impression de voir un générique défiler sur l'écran usé d'un vieux cinéma de quartier - après avoir savouré deux films précieux et confidentiels en compagnie d'une poignée d'autres spectateurs. Ce sentiment rare d'avoir assisté à quelque chose d'unique car trivial et irrévérencieux - donc indispensable.

4 commentaires:

  1. Merci beaucoup. Un billet très agréable à lire, forcément, et surtout doté d'une superbe conclusion.

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  2. Très bon billet qui donne envie. A quand de la chevalerie chinoise dans ce double programme ?

    Laurent

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  3. Un billet qui donne envie d'en lire plus. Alors au boulot les gars :)

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  4. Lis déjà celui-là, Steph (et La Rédemption du Phénix et Green Tiburon 1 et 2 !)
    Allez, au boulot, toi aussi :)

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